Un très très bon article sur les manœuvres financières autour de la société Pages Jaunes. C'est un cas d'école, qu'il faudrait lire et relire pour comprendre le fonctionnement des "fonds vautours".
Un bref résumé :
- France Télécom détenait 56% du capital, mais devait s'en séparer pour rembourser ses dettes (les financiers affûtent leurs couteaux) ;
- Goldman Sachs & Kohlberg Kravis Roberts & Co (KKR) proposent le rachat pour 3.6 milliards d'euros, bien plus que la valeur estimée à l'époque ;
- mais ils n'abondent qu'à hauteur de 300 millions : c'est le propre de ce genre de fonds, ils n'ont pas vraiment d'argent, puisque leur rôle est de le distribuer (==siphonner) ;
- le reste, c'est de la dette d'une société créée pour l'occasion, et dès le rachat effectué, on demande à Pages Jaunes (Solocal maintenant) de contracter un prêt de 2.3 milliards pour s'auto-rembourser ;
- ainsi, Goldman Sachs & KKR touchent 1.5 milliards immédiatement, pour rembourser la moitié de la dette réalisée pour l'occasion ;
- maintenant qu'ils ont le contrôle, ils font payer à Solocal des frais exorbitants pour toutes ces opérations financières, qu'ils touchent, et lui font reverser tout son bénéfice aux actionnaires, 3.9 milliards d'euros : c'est bien rentable ;
- comme ils ont siphonné le plus gros (le blanc et les cuisses) ils revendent la carcasse et les ailes à des plus petits fonds, dont les deux plus gros sont liés à eux ;
- ces nouveaux actionnaires augmentent le capital pour commencer à diluer les actions non détenues par eux, et s'arroger le droit de détenir 15% du capital, pour un prix modique donc ;
- Solocal continue de faire des prêts bancaires, au Luxembourg évidemment (et à un taux de 9% !!) pour continuer à reverser du fric, mais également car ils sont assortis de clauses de malade : la société doit coûte que coûte dégager un EBITDA de 25% du montant de la dette, sinon il faut tout rembourser d'un coup : le verrou est mis en place ;
- pendant ce temps, elle continue de payer des 10aines de millions d'euros en frais juridiques et bancaires pour ces opérations ;
- comme ces conditions sont inatteignables, l'action se casse la gueule en bourse, et la société est proche du dépôt de bilan, pourtant elle fait encore 900 millions de chiffre d'affaire, a un EBITDA de 220 millions, dégage un résultat net de 47 millions (mais paye 100 millions de frais financiers), il reste donc de quoi siphonner encore un peu ;
- pendant ce temps, les actionnaires parlent de ces 4400 emplois à sauver, histoire que l'état et notamment l'AMF sous contrôle de l'état les laisse tranquille (chantage à l'emploi, classique, notre faiblesse) ;
- un plan de restructuration est alors mis en place, et les petits actionnaires (dont ceux qui ont acheté la merde de Goldman Sachs & KKK mais qui n'ont pas eu le droit d'augmenter leur part de la société comme les deux fonds principaux) vont donc voir leurs actions diluées : de 75% de la société, ils vont arriver à 13%, donc perdre le contrôle.
À la fin de l'opération, que s'est-il passé ?
- les deux premiers fonds vautours, Goldman Sachs & KKK se sont redistribué 5 milliards d'euros, pour 300 millions d'argent liquide mis sur la table ;
- des actionnaires se sont fait niquer en achetant des actions pourries décotées de 30% en pensant faire une belle affaire ;
- les vautours liés à GS & KKK continuent de siphonner mais ont surtout endommagé la société suffisamment pour qu'elle reste rentable à l'avenir, mais en détenir 87% du capital, pour 400 millions mis sur la table ;
- il reste du monde à faire partir (700 à 800 employés) puis pour pas cher ils auront obtenus une société performante qui sera bonne à revendre avec un effet de culbute énorme.
C'est incroyable, parce que ça montre trois choses :
- ça ne coûte pas si cher de manipuler ce genre d'entreprise et de siphonner complètement son patrimoine à son propre profit ;
- c'est finalement assez simple, ça demande juste d'être gros et d'avoir les bonnes relations (notamment dans les paradis fiscaux) ;
- le chantage à l'emploi est notre faiblesse : c'est par lui que les vautours arrivent et sont laissés totalement libres de leurs actions, au détriment de l'intérêt commun.
En clair, s'il ne fallait retenir qu'une chose : le « monde de la finance » n'est pas notre ennemi. Il fait son job, le fait bien, avec les outils qui lui sont donnés. En quelque sorte, il respecte le pacte économique. Notre ennemi, c'est le monde politique, qui d'inaction en incapacité et en faiblesse laisse le monde de la finance dépouiller nos ressources jusqu'au dernier centime, tout en exigeant que l'état assure ses opérations malencontreuses.
Assez des discours. De l'action. Mais je ne pense pas qu'ils se battent majoritairement pour l'intérêt commun. Les gens de la finance savent payer convenablement ceux qui sont en position de gêner.